Des Hommes & des plantes
Pierre- Yves Panor
Pierre-Yves Panor
Aujourd’hui, je vous propose d’arpenter les chemins escarpés d’une partie de mon histoire tout en sillonnant les sentiers de la spiritualité. L’un ne va pas sans l’autre. L’un s’imprègne de l’autre, l’un accompagne l’autre.
Ce chemin nous obligera à nous élever jusqu’aux Mornes de la Martinique, pour mieux faire ce bond en arrière dans l’histoire… Nous nous élèverons jusqu’aux Mornes pour mieux prendre de la hauteur sur notre vie, notre place, notre culture, pour densifier le chemin parcouru. Lui redonner sa valeur, le parer de son intemporalité.
Le Morne, souvent inaccessible et couvert de forêt. Le Morne, symbole de la lutte des esclaves pour la liberté, de leur souffrance et de leur sacrifice. Les mornes peuvent paraitre impraticables pour les néophytes mais c’est sans compter sur notre guide d’aujourd’hui, Pierre-Yves Panor, homme humainement accessible comme pour contrebalancer la rudesse des mornes. Suivez le guide qui vous fait enjamber quelques années d’histoire et de culture, suivez le guide qui a effectué son propre chemin de Compostelle.. Il nous le livre, teinté d’humilité. Mettez-vous en route, suivez le guide et laissez le rythme de ses pas inscrire un espace nouveau dans vos vies…. Honorez le silence des lieux et laissez ce silence ouvrir vos esprits et vos cœurs à l’écoute du meilleur de vousmême et à l’écoute de l’autre. Goûtez alors la saveur d’un essentiel retrouvé, d’une unité / unicité recrée
dans la simplicité.
Bonjour Pierre-Yves, merci de cet entretien et pour commencer et respecter notre rituel, peux-tu te présenter ? affranchis-nous et dis-nous quel est le mot directeur de ta vie ? une pensée ? une croyance ? qui es-tu ?
Je suis Pierre-Yves PANOR, j'ai 53 ans, j'habite la Martinique, plus exactement, la commune le MARIN le village le Morne Gommier. Mais en réalité je me sens habiter le monde. J'ai étudié la philosophie, puis l'histoire, la théologie, puis les sciences de l'éducation. En définitif, ce que je suis me vient en grande partie de mon village où j'ai vécu avec les anciens. Ils m'ont tellement raconté de récits de compères tigre, compère lapin, et compère (macaque).
Bref, des histoires d’Afrique, que ce continent que je ne connais que de nom et d'images m’habitent en profondeur. Ils m'ont également transmis leurs savoir hérités des ancêtres : le secret des plantes, les rituels des cycles, la fabrication d'ustensile tel le BWA LELE, la flûte des mornes.
Par-dessus tout cela, ils m'ont transmis le sens de l'humain, la sacralité de la vie, le respect, la tolérance, l'amour, lIs m'ont appris à vénérer la terre, celle me disaient-ils, qui nous porte, nous berce, nous nourrit et nous soigne ! J'ai été élevé dans la même foi qu'eux (catholique) bien que des réminiscences de croyances d'Afrique ne manquaient jamais de s'y faufiler. Et qui quoi que l'on puisse dire, jamais ne s'effacera de nos tréfonds. Mais vers l’Age de 18 ans, il me semblait, manquer quelque chose du chrétien à la manière dont Jésus le concevait à mon sens. Alors j'ai dévoré des bibles : Des "Oswald", des "Segond", des "Jérusalem", des "Chouraqui", lu des apocryphes : évangiles
Puisqu’on parle de religion, à travers mes différentes expériences, j'ai eu et j'ai toujours l'impression que les mots "partage" "entraide" et "amour" sont galvaudés et deviennent plus des mots marketing....qu’en penses-tu ?
Certainement que les mots "partage" "entraide" et "amour" sont galvaudés et deviennent plus des mots marketing.... Mais cela ne me pose pas plus de problème que cela dans le sens où je pense que les mots n’ont pas d’autorité sur le libre arbitre, ni de puissance intrinsèque;
Leur réalité est toujours en devenir donc potentielle. Ils prennent vie, forme, réalité dans les réceptacles que nous sommes. (Ex : Supposons que nous soyons tous les deux assis sur une banquette de la station Chatelet et que je te dise : « levons-nous, et partons ! » Bien que le verbe d’action se lever signifie se mettre debout sur ses deux jambes dans l’exemple donné, tu ne te mettras debout que si tu veux et pour être au plus près de la réalité humaine qui est subjectivité, je dirais : « si tu as envie ». On peut donc appliquer cet exemple aux verbes : partager, entraider, aimer… et je dirai même plus à tous les mots du monde qui bien souvent au lieu de donner vie à leur réalité potentielle, engendre des maux en grands nombres. Comme des mots dans l'air du temps...
En parallèle, on dénote une réelle quête de mieux-être, bien-être et donc peut-être une conscience qui cherche à se rapprocher de ces notions, il faut penser, ou repenser plus juste.... Es-tu d'accord avec cela?
On peut dire qu’il y a une quête du mieux-être mais je ne sais pas si elle est réelle… Pourquoi ce paradoxal scepticisme me diras-tu ? Puisque les siècles ont rejeté au fur et à mesure, les philosophes, les dieux, les religions, pour laisser place à l’homme rien qu’à l’homme et puisque l’homme par nature est subjectif, égoïste orgueilleux alors nous nous retrouvons dans un monde chaotique générant de plus en plus d’injustice, de mal être et de violence. Et nous tâtonnons aveugles à la recherche d’un répit, d’une solution. Nous sommes fatigués et chargés et nous soupirons après le repos, la paix, la justice… mais puisque l’homme s’est solidairement et mécaniquement lié dans la ville ce lieu clos qu’il a voulu comme l’expression de sa liberté et de son bonheur, il rêve d’un changement général. Un changement de toute la masse, de l’ensemble de la communauté et on se mord un peu la queue, on attend que le voisin, le prochain, devienne meilleur pour changer ou pire on pense que notre bonheur, notre paix ne viendra que quand l’autre en face aura changé (ex : le mari veut que sa femme change pour qu’il change ou qu’il trouve le bonheur et vice et versa. Idem pour le voisin de palier, le collègue de travail, le passant.) Je n’ai certainement pas trouvé la vérité absolue à l’issue de ma quête (qui n’est donc pas terminée) mais j’ai appris deux choses importantes :
1. pour changer le monde je dois commencer par changer moi-même, par essayer de devenir meilleur…
2. Le vrai bonheur, la vraie paix, ne vient jamais de l’extérieur, des circonstances, (culture, richesse, pauvreté, rang social, croyances…) des autres fussent-ils mes enfants, ma femme, mon père, ma mère, mes frères, mes amis… tout cela peut m’être enlevé sans explication aucune.
Le vrai bonheur, la vraie paix viennent du sens que nous donnons à notre existence : un but supérieur, apporter sa meilleure contribution à la construction de la cité, donner vie aux mots : partage, entraide, amour, fraternité,
liberté… pour qu’ils ne soient point générateur de maux mais de Vie.
Parlons un peu de ton parcours, Tu as d'abord fait des études en Métropole ?
J’ai fait mes études primaires et secondaires à la Martinique, une partie de mes études supérieures en Martinique et l’autre en France à distance avec l’université Paris X et le CNAM.
Parlons un peu maintenant de ton beau projet : AN MAO, un bel héritage et une très belle façon d'honorer nos ancêtres.. Comment t'est venu ce projet ? L'endroit de ce parc est très symbolique.... Peux-tu nous en dire davantage ? Est cette une terre qui t’a été léguée et dont tu as valorisé chaque mètre de parcelles....?
« An Mao l’héritage des Ancêtres » est l’aboutissement d’une quête : celle de mes ancêtres.
Elle a commencé avec un travail de recherche, à partir du legs de mes vieux oncles et tantes alors que j’étais encore enfant (8 – 10 ans), puis auprès des anciens, et de mes parents. J’ai poursuivi dans les livres, dans les archives départementales pour finir sur les espaces et parcelles des ancêtres, les vieilles cases encore debout De mes recherches sont ressorties le fait que mes ancêtres ont à travers leurs douloureux destin de l’Afrique à An Mao, magnifié la notion de courage, d’humanité, de liberté, de partage, d’amitié, de fraternité, de pardon et de respect de la nature.
Et que la seule chose qu’ils ont voulu que je fasse moi le petit descendant de la 7e génération, c’est que je transmette ces valeurs qui à leurs étaient chères, parce que seules garantes de la fraternité humaine. Dans un premier temps, mon travail s’est formalisé par la plume avec le roman (Lève toi mon peuple !) puis de manière plus concrète avec la construction du parc.
J’habite le Morne Gommier ce village magnifique perché sur les hauteurs de la ville du MARIN et dont le nom vient du fait qu’on y trouve du Gommier Rouge2 en abondance.
Le Gommier rouge* était utilisé pour la cicatrisation des plaies (résine de la plante).
Les ancêtres brûlaient la résine lors de leurs rituels. Les bourgeons quant à eux s’utilisent contre la fièvre.
Le Morne-Gommier en tant que morne, a porté comme tous les autres mornes de Martinique, des mawon. Mon vieil oncle Carmélien qui a rejoint le ciel bleu comme il aimait le dire, il y a 47 ans de cela, m’a raconté que parti des plantations du Marin, les nouveaux libres escaladèrent le morne puis s’enfoncèrent dans les grands bois par peur d’être repris par les colons.
A l’abolition de l’esclavage, la plupart des mawon fuirent les plantations et suivirent la trace des mawon. Craignant que les colons ne viennent les chercher pour les remettre en esclavage, ils s’enfoncèrent dans les grands bois comme leurs héros, les mawon.
An Mao a donc été construit sur l’espace qu’ont habité les mawon3 puis les anciens de ma lignée.
Avec les années, la modernité aidant, le besoin d’habiter des espaces plus accessibles, devint de plus en plus prégnant sur l’ensemble de l’île. Sur le morne Gommier, ce besoin débuta dans les années 60. Mon père emboita les pas en 1970.
Nous troquâmes notre petite case familiale en terre battue contre la grande maison de ciment et de tôle que papa construisit près du long chemin de terre et de roches qui devint quatorze ans plus tard, la route principale du village.
Quand l’âge d’ériger ma propre demeure vint, je n’acceptai pas la parcelle que papa me légua à quelques encablures de la maison familiale. Je me sentis attiré par l’espace de mon enfance, là où il n’y avait point de route, point d’eau, de courant électrique.
Je rasai notre vieille case d’antan qui ne tenait plus vraiment debout et j’y bâtis à la place une maison en bois : celle que j’habite encore aujourd’hui et que les visiteurs peuvent voir.
J’y travaillai à mon deuxième roman (Carolie X): J’y raconte l’histoire de mon ascendante Carolie le matricule 119. Arrachée du Bénin, jetée à Madinina pour planter, labourer cette autre terre.
Un petit bout de femme éprise de liberté qui s’enfonça par une nuit noire sans lune dans l’abrupt et rocailleux chemin du morne truffés de trigonocéphales4 ce redoutable serpent capable de vous coaguler le sang en moins de 24 heures pour une mort certaine si on n’est pas pris en charge par le guérisseur ; défiant la milice, leurs chevaux et les chiens chasseurs de mawon pour atteindre au petit jour le Morne Gommier puis An Mao. Après cela, moi aussi je m’enfonçai dans les bois et sous-bois autour de la case avec une seule idée en tête : rencontrer Carolie, l’entendre me dire courage, sois fort, la vie n’est pas facile, elle peut par moment s’apparenter à un non-sens, mais elle peut être merveilleuse, avoir du sens si on comprend le pourquoi de sa présence au monde. Je soulevai terres et roches, arpentai les espaces, scrutai les arbres et les plantes, fis silence au fond de moi-même.
Et un jour je sentis la présence de Carolie, mais celle aussi de tous ceux qui habitèrent l’espace, façonnèrent le paysage… J’entendis leurs voix, oui je les entendis, ce ne fut plus les livres, ni les archives qui parlèrent, qui racontèrent, ce furent eux-mêmes et cela valu plus que tout. Seul pendant deux ans, je tournai et retournai la terre comme eux jadis. Plaçai et déplaçai les roches, construisis des sentiers, des plateaux, des escaliers de pierres dans les espaces escarpés. Soignai les plantes, mis en terre les médicaments d’antan et An Mao reprit vie. Il est le symbole de courage, d’humanité, de liberté, de partage, d’amitié, de fraternité, de pardon, et de respect de la nature, toutes ces valeurs que m’ont enseignées mes ancêtres pour que le monde soit plus beau, plus fort et la vie triomphante au chaos et à la mort.
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Quel était l'usage médicinal ou autre de La Siguine ? est-elle encore utilisée? valorisée? du Bois-lait ? du Bwa lélé... . Selon ce que j’ai pu lire, les 5 branches du Bwa lélé symbolisent les différents aspects de la communauté martiniquaises articulées autour d'un tronc central représentant le pays.... Quelles sont pour toi, ces 5 aspects de la communauté ?
A côté de l’aspect symbolique, j’ai voulu montrer, le rôle prépondérant qu’ont joué les plantes et les arbres dans l’émergence de la culture martiniquaise, étant entendu que la plupart des anciens esclaves nouvellement libres ont suivi la trace des mawon, pour se construire une nouvelle vie, un nouveau destin, un destin choisi, loin de la mortifère plantation, sur les mornes.
Que pour une large part, la culture martiniquaise puise sa source dans les pratiques des mornes. En effet partis main nue des plantations, les anciens ont tout tiré de la nature : nourriture, ustensiles, médicaments, matériaux, croyances, … C’est ainsi que j’ai mis en relief, les arbres qu’ils ont eux-mêmes plantés tel ce manguier5 âgé de 256 ans, ou encore leurs caféiers, ou autre avocatiers…les plantes médicinales les plus couramment utilisées mais aussi les plantes de la résistances (les poisons) avec lesquelles spécifiquement à la Martinique la résistance anti esclavagiste a été menées par les mawon.
Pour ce qui est des plantes que tu m’as citées, la siguine n’entre pas dans la pharmacopée. C’est un matériau. Ses racines servent à la fabrication du légendaire panier caraïbe. (Héritage des indiens caraïbe). Elle est encore utilisée de nos jours.
Le bois lait est un médicament et un matériau. Il sert à la fabrication du labalet (lance pierre) que tout martiniquais connait ou a utilisé. Coté pharmacopée, la plante sécrète un liquide blanchâtre notamment quand on y détache une feuille. C’est un poison si on l’ingère, mais un médicament puissant contre les panaris.
C’est une plante respectée et dont la connaissance et la collecte est fortement ritualisées. Il pousse dans les grands bois dans des milieux hygrophiles. Il y a une phase lunaire précise à connaître pour sa fabrication, si elle n’est pas respectée, certes on aura un bwa lélé mais l’arbre n’en donnera plus par la suite. La bwa lélé, joue un rôle prépondérant dans l’écosystème de la forêt.
Seuls les anciens connaissent les lieux où ils poussent et c’est un secret qui ne peut être dévoilé qu’aux personnes dignes. Il est donc question d’initiation. Les anciens disent que parce que le bwa lélé à une forte valeur marchande, si par malheur on dévoilait sa cachette à des personnes indignes, ils envahiraient la forêt, détruiraient les champs et mettraient en péril l’équilibre des espaces. Ils disent aussi que ce sont les dieux de la forêt qui ont dévoilé à leurs ancêtres cette plante magique pour qu’ils puissent cuisiner pour leurs proches notamment les enfants (mon dernier roman raconte mon initiation : Le secret du bwa lélé).
Certaines plantes médicinales des Antilles sont entrées dans la pharmacopée française. Depuis le 1er août, 48 nouvelles plantes originaires des départements d'Outre-mer sont entrées dans la pharmacopée française. Parmi ces 48 nouvelles venues dans le panthéon des pharmaciens, 12* sont endémiques à la Martinique et à La Réunion. Est- ce que selon toi, cette reconnaissance a ou va favoriser les aides aux agriculteurs pour la culture et la transformation des plantes ?
C’est une bonne chose, la reconnaissance du bienfait de certaines de nos plantes sur la santé et sur l’homme de manière plus générale. C’est reconnaître quelque part, que le savoir empirique de nos anciens avait du sens. Qu’ils n’étaient pas des charlatans. Je dis cela bien sûr, pour ceux des scientifiques qui ne jurent que par leurs éprouvettes. Nous savons depuis toujours que la connaissance de nos ancêtres, était digne d’être reçue, respectable et bienfaisante pour quiconque en respectait les règles, les posologies et autres recommandations. L’entrée de ces 48 plantes dans la pharmacopée française est un atout que nous devons utiliser pour effectivement développer des activités autour de ce merveilleux patrimoine. Nous en sommes actuellement aux balbutiements de ce secteur économiques que j’entrevois grand;
Nous assistons aujourd'hui à un engouement important vers ce qui est naturel et vers les plantes médicinales.......Cet engouement fait suite aux scandales relayés de certains médicaments, vaccinations, nourriture et pesticides etc. Les Antilles commencent à se réapproprier son potentiel végétal : réactualisation des jardins partagés, créoles, visites de terrains, Cipam ,AGARTA, rimed razye, Pawoka, Aplamedarom, et nous en sommes fiers, mais beaucoup de ces initiatives viennent de Guadeloupe, comment expliquer cet intérêt de notre richesse végétale aussi tardive en Martinique? Ou alors qu'est-ce qu'il y a en Guadeloupe qu'il n'y a pas en Martinique ?
Je ne crois pas qu’en Martinique, l’intérêt pour notre richesse végétale soit tardif. Dans toutes les campagnes de Martinique et j’en suis le premier témoin, la Pharmacie de proximité se trouve à côté de la maison et l’utilisation des plantes, une réalité concrète. Elle ne s’est donc jamais arrêtée. Des livres ont été écrits sur la manière de se soigner et ce, par des anciens. Certes pas réédités il mais ils existent et en fouillant bien on peut les trouver.
Les initiatives prises en Guadeloupe via les associations citées pour se réapproprier le potentiel végétal sont pour la plupart ouvertes à la Martinique voire même à la caraïbe. Les plantes médicinales les plus communément utilisées en Guadeloupe et en Martinique sont à peu près les mêmes sauf rares exceptions. On dira donc que la Guadeloupe a reçu la mission par plus Grande qu’elle, de mettre en place des associations, des organismes pour formaliser, rendre cohérent, donner de la visibilité, promouvoir nos savoirs en la matière et elle le fait très bien, dans le partage et le respect. La plupart de leurs associations ont d’ailleurs des ramifications ou antennes à la Martinique comme TRAMIL6 par exemple. Je dirai donc pour conclure ta question, que la Guadeloupe a compris la mission qui lui a été confiée et c’est parfait ainsi.
Comment voies-tu toutes ces initiatives ? As-tu l'impression que les jeunes s'impliquent dans ce mouvement ou sont-ils encore frileux ?
Ce retour vers la nature est une très bonne chose. C’est un juste et nécessaire rééquilibre. La science toute puissante s’est érigée en maître. Elle rejette tout ce qu’elle ne parvient pas à disséquer, analyser, rationaliser, synthétiser en molécule chimique. La nature, les savoirs empiriques ont été relégués à tort par moment, en croyances populaires, magies, charlatanisme (c’est un néologisme)… Toutes ces initiatives de retour vers elle, la réjouisse, car elle aime à être utilisée, à être consultée, à être l’amie des hommes. Chez nous certains jeunes s’y intéressent. Il s’agit encore d’une petite armée mais j’ai bon espoir qu’avec toutes les initiatives prises par ces différentes associations qui s’y consacrent, elle grandira au fur et à mesure.
Est-ce que cela pourrait être une occasion de resserrer les liens générationnels et ainsi permettre une refonte de la société martiniquaise, voire caribéenne, refonte dans le sens retour à l'essentiel et à cette authenticité dont tu parlais ?
Je ne pense pas qu’on aille jusqu’à là malheureusement. Si on revient au tout début de mon entretien, je disais que la lumière véritable était toujours l’apanage de petit nombre. S’agissant du retour à la nature, à une vie en parfaite équilibre avec elle, eh bien il s’agit là aussi de lumière et puisqu’il s’agit de lumière, alors il en sera de même. Le plus grand nombre préférera toujours le chemin le plus large, le plus facile, le plus court c’est-à-dire prendre un « efféralgan » dans la boite à pharmacie à portée de main qui anéantira son mal de crâne en 10 minutes au lieu de faire un cataplasme avec une feuille de « zebmaltèt » qu’il faudrait aller chercher dans le jardin dehors ou dans les bois et qui elle, viendrait à bout de son mal de tête qu’au bout d’une demi-heure. ---------
Nos aïeux n’étaient-ils pas presque tous des ethno pharmacologues ?
On peut dire ça, mais davantage encore. Nos aïeux se savaient faire partie d’un tout (nature, espace physique, temps, soleil, lune...) Leurs pratiques pharmacologiques ne prenaient pas en compte uniquement les aspects moléculaires liés à la feuille, la racine, l’écorce, la résine, le suc, ou encore le fruit utilisé … mais également le soleil, l’heure du jour, la position du corps pour prendre le médicament, les mots à prononcer etc….
En Martinique, pouvons-nous aujourd'hui assurer une filière de la pharmacopée traditionnelle, à savoir assurer sa culture, sa transformation, sa distribution, son approvisionnement et enfin entrevoir une performance économique tout ceci en permettant de maintenir ou resserrer le tissu social et de préserver la biodiversité ?
J’ai envie de dire que la filière est déjà là, ou plutôt qu’elle se met en place pour être plus objectif. En tout cas ici à la Martinique, énormément de choses se font mais les pratiques restent très artisanales. Aujourd’hui, nous devons franchir un second palier : investir de manière plus importante dans le domaine. La pharmacopée traditionnelle peut se faire une place à côté de la pharmacopée conventionnelle.
Le besoin est là, les plantes sont là, les savoirs également. Par la création du Parc An mao, je contribue à ma manière à la promotion de cette idée. Je sensibilise à l’amour de la nature. Je mets en exergue sa capacité à soigner de manière saine et efficace.
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Qu'est ce qui, toujours selon toi, permettrait la viabilité de la filière et comment inciter les initiatives individuelles pour aller dans ce sens ?
Je pense que les initiatives menées par des associations ou organismes comme Agarta, Rimed Razié, Pawoka, Tramil, sont de bonnes initiatives. Elles peuvent à mon sens contribuer à fédérer ceux et celles qui portent en eux ce véritable amour pour la nature et le désir de partager ses bienfaits. Ton initiative via Essences des Sens est la preuve que de cette manière-là, on peut faire évoluer la cause. Et notre interview vient corroborer mon propos : C’est par l’intermédiaire de ton FB que je t’ai connu, que notre passion commune pour la nature s’est rencontrée. Cela a donné naissance à ce partage qui permettra d’autres rencontres, d’autres partages, sur d’autres pays, d’autres villes, d’autres villages, pour une plus grande promotion de la nature.
Peux-tu nous dire ce qui te motive dans la vie... ce qui nourrit ta force intérieure ? quelle fut ta plus grande déception ? désillusion et comment l'as-tu géré? quelle philosophie mène ta vie? comment affirmes tu ta résilience face aux aléas, difficultés, coups du sort?
Je crois seulement que par-delà mes réalités : ma vie sociale, mes connaissances limitées, mes joies, mes tristesses, mes biens, mes interrogations, mes doutes, mes peurs, il existe quelque chose de plus grand, de plus beau. Quelque chose capable de me procurer la paix que tout ce que je possède, tout ce que je sais ou quoi savoir, n’est en capacité de me procurer. Alors je cours en avant vers ce quelque chose et même si je tombe, je me relève et si je ne peux pas me relever, alors je marche à genou, et si mes genoux ne me portent plus, alors je rampe sur le ventre. Tant pis si je souffre, pourvu que je j’avance vers ce quelque chose… Quant à ce qui nourrit ma force intérieure, je préférerais dire ma faiblesse intérieure car en poursuivant ta question, il est question de « déception, désillusion », des émotions, des ressentis qui à mon sens, sont le propre de l’homme faible intérieurement, l’homme naturel. Le sage, l’illuminé au sens noble du terme, le maitre, le conducteur… n’est ou ne devrait plus être sujet à ces émotions. Ma plus grande déception, ce serait tout le temps perdu à faire des choses vaines, productrices de désordres, tout le temps passé à poser des « pourquoi » Pourquoi ceci, pourquoi cela, pourquoi un tel est comme si ou comme ça, pourquoi, pourquoi ?... Tout le temps où j’ai été à l’arrêt avec ces millions de pourquoi au lieu de me dire : « les choses ne sont pas comme je le souhaite, comme elles auraient dû être, mais ce n’est pas grave j’avance, je fais ma part, je continu de porter ma meilleure contribution à la construction de l’humanité. » Des désillusions je n’en ai pas eu. De mon âme d’enfant qui priait à genou sur le froid carrelage de l’église Saint Etienne du Marin pour demander à Dieu de l’aider à la réalisation de ses rêves de petit garçon à l’adulte d’aujourd’hui qui demande à son ami Jésus le Christ, de prendre soin de lui chaque jour selon sa volonté, j’ai et j’ai toujours eu de manière très sincère tout ce que j’ai demandé qui était bon pour moi.
Quelle philosophie mène ma vie ? je dirai plutôt quelle certitude ? Je crois profondément que ma vie à du sens. Je ne suis pas là par hasard. Ma présence au monde est voulue par Dieu. Mon destin n’est donc point déterminé d’avance. Ce Dieu qui me veut au monde, me permet de participer à sa liberté, à son amour. Il m’aime tellement et crois tellement en moi, qu’il prend le risque chaque jour de partager avec moi sa force, sa lumière sachant fort bien que je peux les utiliser à mauvais escient.
2) En Martinique, le gommier - bursera simaruba - a aussi donné son nom à une embarcation faite à partir d’un tronc creusé («bwa fouyé»). Il existe un gommier blanc et un gommier rouge. Le tronc s'écaille comme le bouleau Sa technique de construction est liée à la présence des amérindiens qui ont jadis peuplé les Antilles. Le gommier a été outil primordial des Caraïbes depuis le peuplement des Antilles jusqu’à l’arrivée des colons (XVIème siècle). Le gommier était présent sur tout le littoral martiniquais, utilisé pour la pêche et moyen de transport. Lors de la 2ème guerre mondiale (1939-1945), les jeunes martiniquais répondant à l’appel du 18 juin 1940 du Général De Gaulle ont rejoint Sainte- Lucie et la Dominique en gommier. A la période de «la dissidence» l’interdiction de la coupe de gommier a contribué à la construction d’une embarcation ressemblant au gommier qui est la yole ronde.
3) 3 Marronage, mode de résistance que les esclaves noirs et amérindiens adoptèrent pour échapper à toutes les brutalités et horribles conditions qu’ils subissaient sur les plantations. Le mot « marron » vient de l’espagnol « cimarron » et signifie fuir, s’échapper http://www.ctguyane.fr/www/ressources/File/jan10/livret-marronnage-V8.pd
4) 4 Aux Petites Antilles seules deux îles abritent des serpents venimeux: L'île de Sainte Lucie accueille le Bothrops caribbaeus et la Martinique le Trigonocéphale ou Fer de Lance. L'origine de leur présence est un petit mystère mais une chose est certaine, elle est avérée de longue date. Christophe Colomb décrit en effet la Martinique, lors de sa découverte de l'île en 1502, comme envahie d'une épaisse végétation, peuplée d'indiens hostiles et infestée de serpents ! Il n'y fait d'ailleurs qu'une escale très courte avant de reprendre le cours de son 4ème voyage. Un siècle plus tard, en 1635, le flibustier Pierre Belain d’Esnambuc qui établit une colonie à Saint Pierre doit de nouveau faire face à la présence des serpents dont les morsures sont fatales à plusieurs de ses hommes. Le développement de la culture de la canne et la chasse menée par les colons ont progressivement réduit le nombre de spécimens. Au XXème sicèle la traque a même été soutenue par les pouvoirs publics qui proposaient une prime pour chaque capture mort ou vif. Le trigonocéphale a tellement marqué l'histoire des premières années de colonisation de la Martinique que ce dernier figure sur le drapeau emblématique de l'ile depuis 1766. Aujourd'hui l'espèce est en danger d'extinction et bien rares sont les iliens qui ont pu en observer. On en rapporte parfois la présence dans les espaces les plus sauvages et à proximité des rivières essentiellement sur les communes de Rivière Pilote, du Gros Morne, du Morne Rouge, de Grand Rivière .Les ophiophobes (ceux qui ont peur des serpents) n’ont qu’à bien se tenir !..
5) 5 Lorsqu’on déchiffre le langage du végétal, le manguier est protecteur, il exprime à la fois la générosité et la puissance.
6)TRAMIL http://www.tramil.net/
Le Gommier est un arbre de 5 à 15 m de haut, au tronc rouge brillant et dont l'écorce lisse se détache par lambeaux minces et transparents, s’écaille en fines lamelles cuivrées laissant apparaître un tronc vert, capable de photosynthèse lorsque l’arbre perd ses feuilles en saison sèche. Le tronc laisse suinter un suc aromatique après incision. Les anglophones l’appellent souvent « arbre à touriste » en référence à la peau brûlée d’un touriste peu méfiant du soleil tropical… En médecine traditionnelle, cette écorce entre dans la préparation de divers remèdes contre les maux d’estomac et autres inflammations : l’écorce est râpée, trempée dans l’eau pour obtenir un jus bu comme une tisane classique. Le gommier rouge est utilisé aux Antilles pour confectionner des barrières de propriétés, d'où son appellation de gonmyè bayè. Les branches se bouturent facilement. La gomme-résine est utilisée comme encens dans les cérémonies religieuses. Les Indiens Caraïbes de la Dominique utilisaient la résine en cataplasme pour les contusions.
Suivant Longuefosse, en Martinique, la décoction des feuilles est employée pour le mal estomac. En Guadeloupe, la tisane de l'écorce séchée passe pour antidiabétique, associée au thé pays (Capraria biflora) et au koklaya (Peperomia pellucida).